Pharmacologie du placebo

Dr. Patrick Lemoine

Laboratoire de Pharmacologie Expérimentale et Clinique
2, avenue du Pr. Léon Bernard, 35043 Rennes Cedex

(cf. commentaire en bas de page)


mis à jour le 2 décembre 1998

1 Définitions 
2 Champ d'action 
3 Facteurs influençant l'effet placebo 
4 Efficacité du placebo

5 Pharmacocinétique du placebo 
6 Effets indésirables 
7 Bibliographie

1 Définitions

Le placebo est une substance inerte délivrée dans un contexte thérapeutique.
Le placebo est une substance généralement commercialisée dont, soit l'efficacité n'est pas démontrée scientifiquement (homéopathie, certaines substances phytothérapiques acides aminés, antiasthéniants etc ...), soit l'indication ne correspond pas à l'indication officielle (vitamine C efficace dans le scorbut mais probablement pas dans la grippe).
L'effet placebo est l'écart positif constaté entre le résultat thérapeutique observé et l'effet thérapeutique prévisible en fonction des données strictes de la pharmacologie.
L'effet nocebo est l'écart négatif constaté entre le résultat thérapeutique observé et l'effet thérapeutique prévisible en fonction des données strictes de la pharmacologie.

2 Champ d'action

Le placebo est efficace chez l'animal domestique (conditionnement, modification de la relation maître-animal), le sujet sain (15 à 25 % des sujets ressentent "un effet" dont la moitié dans le sens d'une amélioration, l'autre moitié sans aggravation), l'enfant et même le nourrisson.
La plupart des maladies ont été étudiées du point de vue du placebo et de ses effets (plus ou moins marqués selon la nature de la maladie et de la relation médecin-malade). Les plus fréquemment citées sont : la douleur (fonctionnelle, algie cancéreuse, post-opératoire, migraine), l'insomnie mais aussi l'anxiété, la dépression, le trouble panique, le syndrome prémenstruel, le rhume de foins, la toux, la tuberculose et même la croissance tumorale cancéreuse ...
Le placebo agit, bien entendu, sur les signes subjectifs, mais est également mesurable sur certains paramètres objectifs : acidité gastrique, diamètre pupillaire, niveau de lipoprotéines, de globules blancs (éosinophiles, lymphocytes), électrolytes, corticoïdes, glucose, cholestérolémie, tension artérielle ... Contrairement à une idée répandue, ce n'est pas parce qu'un signe est mesurable qu'il est inaccessible à une action d'ordre psychologique. Ce n'est pas non plus parce qu'un traitement est d'ordre psychologique qu'il n'est pas relayé par des mécanismes biologiques.

3 Facteurs influençant l'effet placebo

L'objet placebo : cette notion recouvre les caractéristiques physico-chimiques de ce qui est prescrit par un médecin en tant que leurre de médicament. Un grand nombre de paramètres font varier son efficacité dans de grandes proportions (nom, couleur, taille, forme, goût, prix, nouveauté, délivrance sur ordonnance ...).
Le médecin : personnalité, charisme, attention portée, compassion, croyances, présentation du placebo, rituel médical, notoriété, titres, compétence, durée et prix de la consultation, durée de la liste d'attente etc ... sont les principaux facteurs de placebo-induction. Il n'existe pas de profil type de médecin placebo-inducteur.
Le patient : conformisme, souffrance et attente sont les principaux facteurs de placebo-sensibilité. Il n'existe pas de profil type de patient placebo-répondeur. La réponse au placebo n'est pas liée au quotient intellectuel (QI) ni aux facteurs psychopathologiques (névrose).
La maladie : plus la charge psychosomatique des symptômes est grande et plus l'attente générée par la souffrance est forte, plus grandes seront les chances de placebo-réponse.
La qualité de la relation médecin-malade semble le facteur le plus propre à majorer (ou minorer) l'effet placebo.

4 Efficacité du placebo

L'efficacité moyenne du placebo est difficile à évaluer globalement, tant sont nombreuses les variables. Pour la plupart des auteurs, elle se situerait en moyenne autour de 30 %. Cette donnée statistique n'a en fait guère de signification puisqu'elle varie en fonction d'énormément de facteurs et notamment en fonction du symptôme cible. De plus, 35 à 40 % des prescriptions en médecine concernent en fait des placebos impurs. Pour Beecher qui a regroupé 15 publications, l'effet placebo serait manifeste dans 35 % des cas. C'est dans la douleur non provoquée expérimentalement que les chiffres sont le mieux établis. Ces chiffres dépendent de la conception que l'on a de l'effet du placebo :
- du point de vue du pharmacologue qui tend par vocation à retenir essentiellement les données issues d'études bien contrôlées et qui, autant que possible, cherche à isoler un seul paramètre, les chiffres seront sensiblement plus faibles car obtenus dans des situations artificielles où le sujet de l'expérience qui sait plus ou moins que c'est l'effet placebo qui est recherché, aura souvent tendance à le minimiser (pour ne pas perdre la face). Le double-aveugle qui est fait pour différencier deux traitements administrés dans des conditions identiques, ne permet pas d'évaluer l'effet placebo lié aux conditions de la recherche. De plus, un double aveugle ne peut être comparé qu'à un autre double aveugle et les résultats de la recherche pharmacologique ne peuvent en aucun cas être extrapolés à une pratique clinique "normale".
- Du point de vue du clinicien qui prend en compte, de façon pragmatique, tout ce qui peut modifier l'action "normale" d'un médicament en dehors des situations expérimentales, il est probable que l'effet placebo atteint aisément, voire dépasse largement ces chiffres.

5 Pharmacocinétique du placebo

Voies d'administration : par ordre décroissant d'efficacité, le placebo peut être utilisé sous forme d'injection intra-veineuse, intramusculaire de comprimés, du suppositoires. Les gouttes seraient particulièrement intéressantes car, en obligeant le malade à les compter minutieusement, elles augmentent sa participation et son attention au traitement.

Latence d'action : le placebo agit en général plus rapidement que le médicament actif. Cette donnée est particulièrement nette dans la douleur ainsi que la dépression où les traitements classiques requièrent en principe deux à trois semaines. Il n'est pas rare de voir certains sujets, et pas forcément des moindrement déprimés, réagir positivement en un ou deux jours.

Pic d'activité : le moment d'activité maximale serait également plus précoce. Dans la douleur, l'effet du placebo d'aspirine serait à son apogée au bout d'une heure, celui de l'aspirine au bout de deux heures.

Durée d'action : le placebo serait actif en moyenne pendant deux semaines, notamment dans la douleur ; ce chiffre peut toutefois varier énormément.
La réponse au placebo, à long terme (40 semaines), fut étudiée au sein d'un groupe de sujets dits "paniqueurs". Au bout de 40 semaines, 42 % des 60 patients sous placebo n'avaient plus d'attaques de panique et 38 % étaient nettement améliorés. Parmi les placebo-répondeurs, 27 % présentaient une réduction de 82 % de leur niveau général d'angoisse. L'auteur a essayé de différencier cliniquement les sujets bons répondeurs au placebo de ceux qui lui résistaient et n'a rien trouvé de particulièrement marquant. Les bons répondeurs s'amélioraient en une semaine, continuaient à aller de mieux en mieux tout au long des 40 semaines de traitement puis de sevrage progressif. Enfin, un mois après la cessation des visites, ils continuaient à aller bien.

Relation dose-effet : en cas de résultat insuffisant, il suffit parfois d'augmenter le nombre de comprimés de placebos pour en voir augmenter l'effet. Par exemple, un syndrome anxio-dépressif sera mieux amélioré par 4 comprimés que par 2. Certains exemples sont restés célèbres ; ainsi celui de cet homme traité avec succès par un placebo pour son hypertension artérielle, mais qui s'est vu obligé de supprimer le comprimé du soir qui le rendait trop tendu". Une autre malade, hypertendue soignée de la même façon, voit son poids augmenter. La posologie est réduite de moitié et passe de 4 à 2 comprimés. Son poids se stabilise. L'effet du placebo peut être cumulatif mais tend à s'épuiser au bout d'un certain temps. Son effet peut potentialiser celui des médicaments actifs ou des autres méthodes comme la psychothérapie. Il peut s'avérer parfois utile d'intercaler des placebos dans une séquence thérapeutique, lorsque l'on veut réduire la posologie d'un médicament toxique ou potentiellement addictif.

6 Effets indésirables

Dépendance : certains cas de toxicomanie au placebo ont été décrits, comparables à ceux de la morphine, avec des signes de manque, bien que d'intensité nettement plus légère.

Effets indésirables : les placebos amènent des effets latéraux, voire des effets négatifs. Ce phénomène a été regroupé sous le nom d'effet nocebo.

Dans une étude portant sur la claudication intermittente, 37 % des sujets traités par placebo ont éprouvé des effets indésirables. Dans un grand nombre d'études concernant les benzodiazépines, effectuées en double aveugle contre placebo, les effets négatifs sont aussi fréquents dans le groupe placebo que dans le groupe traitement actif.
A partir du regroupement de différentes expérimentations (groupes contrôles), les effets nocebo ont pu être énumérés. Sont retrouvés dans l'ordre de fréquence décroissante : somnolence : 24,7 % ; fatigue : 17,2 % ; troubles gastriques et intestinaux : 16 % ; difficultés de concentration : 13,2 % ; céphalées : 11,6 % ; bouffées de chaleur : 11,4 % ; tremblements : 11 %. Il s'agit ici d'un tableau général et il est bien probable que les effets dépendent du type de placebo administré, de la personnalité du patient et des symptômes cibles : s'il s'agit d'un placebo d'antidépresseur, les effets indésirables seront certainement différents de ceux d'un placebo d'antalgique ; du fait de l'effet attendu et de la contamination par le médicament de référence ou déjà reçu. Ainsi, un patient déprimé sous placebo mais qui s'attend à recevoir un antidépresseur, à partir du moment où il l'a déjà reçu ou connaît quelqu'un qui a reçu un imipraminique, présentera plus volontiers, une somnolence, une constipation et une bouche sèche.
Dans une étude de la néphénisine prescrite contre placebo, chez des anxieux, 10 à 20 % des sujets ont été aggravés, qu'ils aient reçu la néphénisine ou le placebo. 3 sujets sous placebo subirent un effet indésirable grave : érythème maculo-papuleux diffus qui disparut à l'arrêt du traitement, intolérance vagale (nausée, hypotension, sueurs) et un oedème angio-neurotique.
Des cas encore plus sérieux d'effets indésirables ont été signalés : pertes de connaissance, nausées, dermatose, urticaire, perte auditive ou visuelle, diarrhée, vomissements, hallucinations, crampes etc ... Un patient, immédiatement après avoir pris un placebo, devint aveugle, vertigineux, nauséeux et se sentit "engourdi autour de la bouche". Il est évidemment difficile, à travers tous ces exemples, de ne pas évoquer certaines formes de manifestations hystériques...

7 Bibliographie

1) LACHAUX B, LEMOINE P
Placebo, un médicament qui cherche la vérité
Médsi/Mc Graw Hill édit., Paris, 1988, 148 pages.

2) LEMOINE P
Le mystère du placebo.
Editions Odile Jacob, Paris, 1996, 238 pages.

3) ROSENZWEIG P, BROHIER S, ZIPFELA
The placebo effect in healthy volunteers : influence of experimental conditions on physiological parameters during phase I studies.
Br J Clin Pharmacol 1995 ; 39 : 657-664.

4) ALLAIN H, MARTINET JP, LIEURY A
L'effet placebo : une aide à la décision thérapeutique
Rev Neuropsychiatr Ouest 1990 ; 103 : 23-33.


Site médical à l'usage des étudiants

Commentaire : L'auteur, tout au long de son texte raisonne comme si le placebo était une seule et même préparation (composition fixe) qui serait utilisée dans tous les essais thérapeutiques auquels il se réfère. Il n'en est rien. 
Le placebo a une composition variable, qui est fonction de la préparation pharmacologique que l'on veut tester (principe actif + excipient). Généralement, il s'agit de l'excipient seul (mais pas toujours). Or, dans aucun des essais thérapeutiques contre placebo publiés, cette composition n'est donnée précisément (le terme "placebo" suffit). La silice colloïdale, le saccharose, le stéarate de magnésium, l'oxyde de zinc ou de titane, etc.  sont des éléments de composition des excipients que l'on estime généralement neutres. Est-ce le cas vraiment ? Ont-ils tous été testés individuellement dans la pathologie considérée ? Non, bien sûr. Et l'effet cumulé (ou multiplié) d'excipients à effet notoire (aspartame, sulfites, jaune-orangé S, etc.) dans la même préparation placebo ne peut-il vraiment pas influencer l'évolution d'une pathologie ?

 

http://pla.ce.bo.free.fr/placebo_rennesfac.htm 
Création le 21 août 2003