2. Définitions critiques
2.1 Placebo
Toute définition, ou presque du placebo commence par affirmer qu'il s'agit d'une
substance inerte, inactive ou neutre. Ainsi :
PLACEBO : Substance neutre que l'on substitue à un médicament pour contrôler ou
susciter les effets psychologiques accompagnant la médication. (Dictionnaire Robert -
1984)
PLACEBO : Préparations pharmaceutiques (pilules, cachets, potions, etc.) dépourvues
de tout principe actif et ne contenant que des produits inertes. (Dictionnaire Garnier
Delamare 25e édition)
PLACEBO : (...) substance inerte délivrée dans un contexte thérapeutique. Le placebo
est une substance généralement commercialisée dont soit l'efficacité n'est pas
scientifiquement démontrée (homéopathie, certaines substances phytothérapeutiques,
acides aminés, antiasthéniants, etc.), soit l'indication ne correspond pas à
l'indication officielle (vitamine C efficace dans le scorbut mais probablement pas dans la
grippe). L'effet placebo est l'écart positif observé entre le résultat thérapeutique
observé et l'effet thérapeutique prévisible en fonction des données strictes de la
pharmacologie. (Dr Patrick LEMOINE, cours destiné aux étudiants de la Faculté de
Médecine de Rennes - 1998).
PLACEBO : 1. Roman Catholic Church. The service or office of vespers to the dead. 2a.
Medicine. A substance containing no medication and given merely to humor a patient. 2b.
An inactive substance used as a control in an experiment. 3. Anything lacking intrinsic
remedial value, done or given to humor another. (The illustrated Heritage DICTIONARY
and information book - Houghton Mifflin Company - 1977)
PLACEBO : Substance améliorant les symptômes présentés par un malade alors que son
efficacité pharmacologiquement prévisible devrait être nulle ou négligeable. Il existe
en effet une participation psychologique essentielle dans l'effet placebo. (Dictionnaire
de Médecine Flammarion - ~1975)
Il faut remarquer que de toutes les définitions citées, seule la dernière relativise
notre connaissance, ce n'est pourtant presque jamais celle qui est donnée en référence.
Le caractère inerte, inactif ou neutre du placebo est sérieusement mis en doute par
certains. Une distinction a été établie entre les placebos purs (placebo vrai,
réellement inerte ; habituellement on cite ici le lactose ou le sérum salé) et impurs.
Ces derniers ont des propriétés pharmacologiques établies (vitamines en dehors de
situation d'avitaminose) ou douteuses (médicament ancien ou préparation à base de
plantes) et sont prescrits à des doses si minimes ou dans des indications si éloignées
de leur champ d'application, que l'on est à peu près sûr que leurs effets éventuels
seront sans rapport avec ceux attendus dans le domaine considéré.
Le lactose qui était traditionnellement cité comme un placebo pur peut-il encore
l'être ? Il est désormais considéré comme un excipient à effet notoire (il peut
exister des intolérances au lactose) tout comme le saccharose ou le sodium. Tous les
essais cliniques qui les ont utilisés comme placebo n'ont-ils pas été biaisés ?
Laquelle de ces définitions choisir ? Faut-il le faire à la suite d'une méta-analyse
plus ou moins exhaustive des définitions proposées et au prorata de la majorité
exprimée ? Ou bien, un débat éclairé peut-il nous aider à trancher ?
2.2 Excipients
Le médicament étudié dans les essais cliniques est constitué d'une part d'un
principe actif (la substance que l'on veut étudier) et de substances d'emballage
(excipients) qui vont conférer à la drogue finale des qualités de stabilité, forme,
dissolution, ciblage, goût, couleur, esthétique, etc. Ces substances identifiées dans
les formules dans leur ordre pondéral sont extrêmement variées et les quantités mises
en jeu éminemment variables elles aussi (quoique de façon inconnue pour la plupart des
intéressés : pharmaciens délivreurs et médecins prescripteurs).
Les excipients participent pleinement au mode d'action du médicament. Sans excipient,
pas de médicament. L'art de la mise en forme médicamenteuse, c'est la galénique .
Les excipients sont donc des substances associées étroitement aux principes actifs
des médicaments qui :
* devraient avoir une innocuité parfaite, en tout cas dans la gamme des concentrations
utilisées en galénique. Celles-ci ne devraient pas déboucher sur une quelconque
toxicité. En fait un certain nombre d'excipients sont réputés à effet notoire (cf..annexe)
dû souvent à des phénomènes allergiques ou des intolérances individuelles
(insuffisance enzymatique par exemple) ;
* stabilisent un principe actif (conservation) ;
* le solubilisent (par ex.. substance hydrophobe dans une huile ou une émulsion) ;
* permettent une dissolution correcte et ciblée (par exemple dans un verre, dans
l'estomac ou plus avant dans le tube digestif) ;
* lui donnent une forme (gélule, suppositoire, gel, gouttes, liquide, etc.) en rapport
avec le mode d'administration (per os, IV, IM, injectable, transcutané, etc.) ;
* peuvent lui donner une sapidité nécessaire, quand le goût du principe actif est
'extrême', ou pour une application pédiatrique ;
* permettent le ciblage ;
* modifient la biodisponibilité, la demi-vie ;
* etc.
Dans les essais cliniques en double aveugle contre placebo, le véritable
contrôle-placebo devrait être l'excipient du principe actif ; mais en l'absence de
publication de ces compositions dans les essais cliniques, cette identité est purement
conjecturelle. Sauf exception, le placebo n'est pas " rien ". Il est important
que la drogue et son 'fantôme' aient le même aspect, le même goût, la même forme,
etc. (ce qui ne va pas sans problème parfois) pour éviter que les patients ou le
personnel soignant ne cassent le code de la plus évidente des façons.
Les contrôles d'innocuité des médicaments sont habituellement faits sur des
populations d'adultes jeunes et en bonne santé. Ceci est un biais considérable quand la
population-cible des nouvelles molécules représente des personnes âgées ou très
débilitées. Il n'y a pas de doute que les contrôles d'inactivité des excipients l'ont
été dans les mêmes circonstances, Et si le recul historique est habituellement censé
nous donner des certitudes confortées, la publication relativement récente des
excipients à effet notoire doit nous inciter à la plus extrême réserve. Une liste des
excipients à effet notoire (38 catégories - cf. annexe) est en exergue au début de
chaque VIDAL. Comme indiqué, leur présence peut nécessiter des précautions d'emploi
pour certaines catégories de patients.
Acide borique et sels |
Huile de soja et ses dérivés |
Acide benzoïque et benzoate |
Huile de sésame |
Alcool benzylique |
Lactose |
Acide sorbique et sels |
Lanoline |
Amidon de blé |
Maltitol (sirop de) |
Aspartam |
Mannitol |
Bronopol |
Paraformaldéhyde |
ButylHydroxyAnisole (BHA) |
Parahydroxynbenzoates et leurs sels |
ButylHydroxyToluène (BHT) |
PolyEthylèneGlycol (Macrogol) |
Chlorure de Benzalkonium |
Phénylalanine |
Composés organomercuriels |
Potassium |
Éthanol |
Propylèneglycol, sels et esters |
Formaldéhyde |
Saccharose |
Fructose |
Sodium |
Galactose |
Sorbitol |
Glucose |
Sucre inverti |
Glycérol |
Sulfites (métabisulfites) |
Huile d'arachide |
Tartrazine |
Huile de ricin et ses dérivés |
Xylitol |
A l'évidence, de nombreuses spécialités contiennent
de tels excipients
. En toute cohérence, quand ils sont présents dans un médicament, les quantités de
ces excipients devraient être notifiées. Cela est trop rarement le cas. Si des
phénomènes allergiques peuvent se déclencher pour des doses très faibles, tous les
effets notables ne relèvent pas de ce type de mécanisme. Les indication du VIDAL sont
aussi trop succinctes. Qui sait que les métabisulfites correspondent à E220--> E228
ou que E110 [Orange Jaune orangé] et E124 [Rouge cochenille A] sont des dérivés de la
tartrazine ?
Certains excipients ont la particularité d'être aussi considéré comme des principes
actifs, selon les spécialités dans lesquelles elles sont présentes.
Quelques exemples :
* la silice colloïdale fait partie de la liste des excipients de plusieurs centaines
de spécialités dans le VIDAL et est considéré comme principe actif (avec la cellulose
et la pectine) dans GÉLOPECTOSE (poudre orale anti-reflux oesophagien) et comme unique
principe actif dans DISSOLVUROL (traitement de terrain en particulier dans les rhumatismes
inflammatoires)
* L'acide ascorbique, que nul ne présente plus, fait partie de dizaines de
spécialités comme principe actif essentiel ou partagé et fait partie de la liste des
excipients dans le TARDYFÉRON (traitement par le fer des carences martiales) ou le
TESLASCAN (produit de contraste pour la RMN).
* L'hydroxyde d'aluminium est un principe actif dans les pansements gastriques et un
excipient dans les vaccins.
Tout ceci montre à l'évidence que la distinction entre actif et non-actif (excipient)
est très relative parfois et que l'équation " placebo (excipients) = inerte ou
inactif " est abusive.
2.2.1 Modification des formules par les industriels
Chaque médecin ou pharmacien, s'il est attentif aux excipients des médicaments qu'il
prescrit ou délivre, peut s'apercevoir en comparant des VIDAL millésimés que d'une
année sur l'autre les formules des excipients peuvent varier en composition. Cela peut
répondre à des exigences réglementaires, de procédés de fabrication, de
disponibilité d'ingrédients, etc. Une nouvelle procédure d'A.M.M. n'est habituellement
pas engagée pour de telles modifications supposées mineures.
D'ailleurs, les formules des génériques, médicaments formés à partir de principes
actifs dont l'exclusivité brevet est tombée dans le domaine public, ne sont pas
identiques aux médicaments prototypes. Les règles d'identité du principe actif sont
strictes, mais il semble être laissé une assez grande latitude aux industriels pour la
composition finale de ces remèdes et aucun test clinique supplémentaire n'est demandé
pour vérifier qu'ils ont exactement les mêmes propriétés thérapeutiques.
Droit
de substitution des génériques
2.3 Effet placebo
Effet placebo : de quoi s'agit-il ?
Il apparaît qu'un certain nombre patients qui ont reçus le traitement 'fantôme' se
disent améliorés. Ce taux est de l'ordre de 30 % habituellement et peut atteindre
60-70 % dans les migraines ou les dépressions. Certains patients sont même parfois
améliorés objectivement d'affections pouvant être réputées 'incurables'.
Pour résumer : si l'effet d'un actif est la différence entre le lot " produit
" et le lot " placebo ", l'effet placebo est la différence entre le lot
" placebo " et le lot " rien ".
Plusieurs facteurs sont susceptibles de modifier ces taux de réponses : l'affection
visée, la personnalité du prescripteur, celle du malade, la forme du médicament
(gélules, comprimé, caractère injectable, forme, couleur, fréquence de prises, etc.).
Un certain nombre de raisons psychologiques (psychiatriques ?) sont avancées :
l'attente, la motivation, le désir, la foi, la suggestion, sans oublier des changements
réactionnels plus ou moins inconscients de comportement ou d'alimentation. De plus, la
détresse psychologique agit sur le système immunitaire en affectant la sécrétion des
glucocorticoïdes et autres médiateurs qui jouent un rôle-clé dans la résistance à la
maladie. Toute variation de stress, physique ou psychique, peut ainsi modifier le système
immunitaire et l'évolution des désordres organiques.
Le placebo peut aussi être considéré comme un stimulus conditionnel. Tout comme les
chiens de Pavlov ont été conditionnés pour répondre par la salivation à un stimulus
auditif (une cloche) comme si c'était de la viande, des individus qui ont déjà été
soulagés par des médicaments actifs peuvent devenir conditionnés pour répondre à des
symboles plus ou moins inertes (stimulus conditionnels) pourvu que l'environnement soit
préparé. Ainsi le rituel complet entourant le traitement peut devenir un stimulus
conditionnel par la vertu de l'association historique et répétée entre la prise d'un
médicament et l'amélioration des symptômes. Ainsi, lors de traitements prolongés
d'affections chroniques nécessitant des corticoïdes ou des immunosuppresseurs
accompagnés d'effets indésirables, l'intercalation de substances neutres ayant l'aspect
de ces drogues a permis de réduire les doses totales administrées.
Aucune théorie n'essaye de raisonner en termes moléculaires (chimique ou
métabolique) puisque par définition acceptée par tous, ou presque, il n'y a que des
composants inertes dans les placebos.
Certains sont même autorisés comme additifs alimentaires sans
qu'aucune précaution d'emploi ne soit signalée sur les étiquettes.
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